by : Pierrick Sorin
durée : 25:14 mn
2000
Une vidéo prémonitoire et moqueuse sur des fictions de projets d’artistes « contemporains » réalisées par Pierrick Sorin, avec Pierrick Sorin etc etc ….! c’est réussi et drôlement à propos, en effet, quelques années plus tard après cette vidéo, la manifestation « Le voyage à Nantes » bat son plein médiatique et touristique, avec une communication prétentieuse, chauvine et tape à l’oeil « à la nantaise »…. quand la réalité dépasse la fiction…!
Nantes : projets d’artistes
par Olivier Pellet (Académie de Lyon), mars 2009
Commande publique de la ville de Nantes dans le cadre des célébrations du passage à l’an 2000 et en référence à Jules Verne et ses «mondes inventés».
Pierrick Sorin, au lieu d’imposer sa seule production, invite 6 autres artistes européens à créer des
œuvres spécialement pour la ville, soit 7 projets avec le sien. La vidéo de Sorin, passionné de cinéma burlesque et déjà réputé bouffon de l’art vidéo et de
l’auto-filmage, donne cette fois dans la dérision de l’art contemporain. Ainsi la vidéo se présente comme l’émission culturelle d’une probable chaîne de télévision. En apparence tout ce qu’il y a de plus sérieux, la vidéo adopte les codes classiques du genre, ainsi le présentateur annonce un
reportage sur les projets monumentaux de 7 artistes européens pour la ville de Nantes. 7œuvres
in situ pour franchir le millénaire, et une débauche technologique au service de buts tantôt poétiques,tantôt dérisoires, creux ou antithétiques (projections de vidéos amateurs, giclées de peinture, images d’un jaune d’œuf coulant dans une éprouvette !). Ce sont aussi 7 portraits «à charge» d’artistes et de
démarches contemporaines comme on en rencontre de nos jours (rapport à l’architecture,interactivité avec le corps social, projections, utilisation de réseaux, traitement informatiques d’images o de flux); des artistes tantôt rationalistes et introvertis ou extravertis et mégalomanes !
Pierrick Sorin, comme à son habitude, y joue tous les rôles : présentateur de télévision,artistes hommes et femmes de toutes nationalités.
Enfin Sorin évite de tomber dans la caricature «des autres» et présente à son tour son propre projet, en référence au cinéma, une sorte de chronophotographie inverse ou c’est le mouvement des spectateurs dans le tramway qui crée l’animation visuelle.
Parodie des autres et de lui-même, du milieu de l’art et des commandes publiques, le discours et les images de Sorin témoignent aussi de sa connaissance des «classiques» de l’art moderne et sont une fine analyse des démarches artistiques contemporaines si bien que l’on se prendau jeu. On aimerait voir réaliser certains projets tandis que d’autres paraissent agaçants, lassants,voire ridicules. dans les faits, il s’agit bien d’une
œuvre en réponse à une commande publique et qui peut être diffusée (exposée) lors d’une exposition, voire vendue sous forme de cassette vidéo ou
de DVD, et qui offre une image culturelle de la ville de Nantes,
– dans le scénario, il s’agit d’une parodie de magazine culturel télévisuel,
– chaque projet de chaque artiste est techniquement irréalisable (mais presque réalisable, cf.Jules Verne en son temps), et donc n’apparaissent que sous la forme de montages et de trucages : il s’agit bien de création vidéo puisque les réalisations n’ont jamais existé, ce n’est
donc pas un réel film documentaire. L’œuvre est une parodie de projets, d’esquisses.
La forme cinématographique On l’a dit, il s’agit de parodie. Cependant si Sorin charge un certain monde hautain et mondain de l’art contemporain, il met à contribution sa gouaille pour, par le biais du genre burlesque, démonter la facture cinématographique-même.
Ainsi du fond d’écran du magazine culturel, référence à un certain art informel, qui passe pour être typique de ce genre d’émission, comme le ton précieux du présentateur. Mais lorsque le reportage commence, il y a un changement de voix, et la voix
off féminine rend cette rupture crédible. Sorin joue avec notre crédulité : nous avons tendance à croire ce que l’on entend, ce quel’on nous raconte, et ce que l’on nous montre. C’est lors des passages successifs d’un artiste à un autre que les artifices, par la répétition, en viennent à se dénoncer eux-mêmes : décalage dans le doublage des voix et élocution parfois hachée, maquillage (les vieilles ficelles de la perruque et de la moustache postiche) de plus en plus évident
au fur et à mesure des rôles. Le crédit acquis dans les premières minutes s’effrite et remet en cause notre propre construction mentale de l’information : si c’est toujours le même acteur qui incarne les différents rôles, alors ces artistes n’existent pas, et s’ils n’existent pas, alors les
œuvres n’existent pas non plus, ni leurs démarches, leurs aspirations, leurs bricolages plausibles et loufoques ne sont que des jeux d’enfant ! La découverte de cette distanciation parodique implique une reconsidération du statut des images, du concept des
œuvres et du statut de la vidéo elle-même dans ces deux composantes : reportage et magazine culturel. Le projet de Sorin lui-même, qui vient clore le
reportage alors que notre désillusion est certaine, vient porter le coup de grâce puisque son projet, dans lequel il explique la déconstruction du procédé-même de l’image animée est moralement ambigu, inacceptable pour une commande publique ?
Et pour cause, puisque ce n’est qu’un jeu ! Mais l’art, comme le trompe l’œil, est bien un jeu, n’est-ce pas ?
Pierrick SORIN (né en 1960)
artiste nantais, il y a fait ses études à l’École Normale ainsi qu’aux Beaux-Arts.
d’abord instituteur, après quelques reportages pour FR3 (France 3 Télévision) et l’émission
Thalassa, se tourne vers la création vidéo. Il utilise quasi-exclusivement le procédé de l’auto-filmage (il est à la fois auteur et acteur), et
créé des courts métrages mettant en scène les travers de la vie quotidienne, généralement sur le mode burlesque. Installations vidéo.
– «Nantes : projets d’artistes» a une forme plus complexe, formellement classique, c’est le contenu qui est parodique. Le film a été projeté la 1ère fois au musée des Beaux-Arts de Nantes en février 2001, et était destiné à la vente par l’office du tourisme de la ville. http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/arts-plastiques/archives/2009/sorin_nantes_2000.pdf
Voir le site de l’artiste : http://www.pierricksorin.com/