by : Bill Viola

durée : 05:31 mn (Extrait)

1983

 

Il s’agit d’une série de « portraits de téléspectateurs », de brefs plans fixes, diffusées sur une chaîne publique américaine, montrant des personnes assises devant la caméra, et semblant regarder la télévision. Il est nécessaire de comprendre comment l’artiste utilise une chaîne de télévision afin d’interroger le regardeur sur sa propre condition.

Ce qui intéressait Bill Viola, c’était d’utiliser l’espace entre les programmes qui est normalement occupé par la publicité. Aux États-Unis, les chaînes publiques ne diffusent pas de publicités commerciales, cependant pour séparer leurs programmes elles tente de faire leur propre publicité. C’est à dire casser le rythme entre deux émissions, cadrer le téléspectateur et l’inciter à regarder le programme suivant. L’intention de l’artiste à donc été d’agir sur la structure même de la grille des programmes, d’en composer une dans laquelle quand une émission se termine et que le spectateur se détend, au lieu de voir arriver la publicité, il se retrouverait face à d’autre individus, exactement dans le même état que lui.

Reverse télévision est composé de 44 plans fixes en couleurs, de trente secondes chacun. Ils ont été diffusés pendant deux semaines sur la WGBH (chaîne de télévision publique à Boston) en 1983, à raison de 5 portraits par jour, repartis sur des plages publicitaires. Pour réaliser ces vidéos, Bill Viola explique :« Je suis allé voir à peu près quarante personnes dans la région de Boston; je suis entré tout droit chez elles, les ai fait asseoir dans le fauteuil le plus confortable de leur salon. J’ai cadré de telle sorte qu’on puisse voir leur corps en entier et une partie de l’endroit où elles vivent. Elles étaient assises, simplement et regardaient la caméra en silence. Willy Bahuaud, Webdesigner et créateur de webTV. Intégrateur WordPress.

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Extrait d’un entretien réalisé par Raymond Bellour. 1984

Puisque nous y sommes, pourriez-vous nous parler un peu de cette série que vous avez faite récemment et que vous avez intitulée de façon très ambiguë Reverse television. Il semble qu’elle ait un lien direct avec ce problème de public. C’est un appel aux gens, aux spectateurs.

– Oui, Reverse television c’est le seul travail que j’ai fait spécifiquement pour la télévision. L’idée consistait à utiliser l’espace entre les programmes qui est normalement occupé par la publicité.

Aux Etats-Unis, il n’y a pas de publicité sur les chaînes de télévision publiques, alors elles tentes de faire leur propre publicité: par exemple « à huit heures, ne manquez pas telle émission », etc. Et on a encore l’impression d’un rythme qui vient casser l’émission, l’encadrer et vous conduire à la suivante. C’est donc ce qu’on connaît, en informatique, sous l’expression « down time ». Le « down time » c’est ce qu’il y a entre deux programmes; c’est ce qui donne tant de puissance aux publicités- une fois encore le rapport figure-arrière-plan. J’ai observé mon père quand il regarde la télévision: dès qu’une émission est finie, il se détend. Et c’est quand il est le plus détendu que boum, la publicité arrive. C’est d’une grande habileté. Ainsi, cet espace m’intéressait, et aussi l’idée de dresser un programme de diffusion, d’utiliser le mode de diffusion en tant que tel, de sorte que la programmation devienne une sorte de montage. C’est tout-à-fait comme un montage. Chaque plan succède à l’autre, mais il faut deux semaines pour que l’ensemble soit complet, au lieu de cinq minutes. J’appelle cela une « micro-série » télévisée. Pour Reverse television, je suis allé voir à peu près quarante personnes dans la région de Boston; je suis entré tout droit chez elles, les ai fait asseoir dans le fauteuil le plus confortable de leur salon. J’ai cadré de telle sorte qu’on puisse voir leur corps en entier et une partie de l’endroit où elles vivent. Elles étaient assises, simplement et regardaient la caméra en silence. Lors de la diffusion, à la fin du programme normal, la publicité serait arrivée et bang, il y aurait eu l’image d’une de ces personnes assises en silence. On les entend respirer, car le niveau d’enregistrement était très élevé, on entend les voitures qui passent en bas de chez elles; la personne se contente de regarder l’écran. Et puis elle disparaît. Il n’y aurait eu aucun signe de reconnaissance, aucun titre, rien. Et puis une heure après, il y en aurait eu une autre. Ceci aurait duré deux semaines.

C’est la formule que la chaîne a refusée?

– Bien-sûr. Vous avez déjà mentionné le titre, qui a, selon eux, une sorte d’accent subversif. Ils ont immédiatement vu les choses comme cela. A la télévision, tout doit être encadré, c’est essentiellement un art du conditionnement En fait, ma bande devait apparaître comme venant du fond- de cet espace que sur les ordinateurs on appelle le champ de données ( le fond), qui n’existe que comme support à l’apparition des choses ( la figure). Ou cette notion qu’au-dessous de nous tous, il y a une espèce de continuum. Ce qui m’a toujours fasciné dans la télévision, c’est qu’à tout moment, il y a des millions d’individus qui regardent chacun chez eux la même image . Le point de départ de cette bande était donc l’idée d’un espace: comme s’il y avait un drap recouvrant quelque chose, et que de temps en temps, il laisse entrevoir, par une fente, ce fond ou ce champ, qui est toujours là, en dessous. On le voit pendant un instant, et il disparaît. C’est un peu comme lire entre les lignes ou ouvrir un volet, pour avoir l’image de ce qu’il y a dehors. Mais cette idée posait vraiment des problèmes aux gens de la télé et cela s’est soldé par une confrontation avec le directeur de la station, qui en l’absence de titre, refusait son feu vert. J’ai refusé de mettre un titre au début, parce que cela aurait vraiment cassé mon travail, mais j’ai été forcé d’en mettre un à la fin. Ils voulaient que ce soit à chaque fois une description complète de la bande, parce qu’il faut, aussi, décrire avec des mots ce que tout le monde voit. Je m’en suis finalement sorti en ne mettant que mon nom et la date, ce qui était quand même un peu ridicule.

La signature l’isolait comme pure et simple provocation d’artiste.

– Oui. Cela ne me plaisait pas, mais c’était le seul moyen pour qu’elle soit diffusée. Et puis ils ne voulaient pas m’accorder une minute par heure; ils ne l’ont programmée que cinq fois par jour, et ils voulaient que chaque spot ne dure que quinze secondes. Pour moi, c’était trop court, car mon idée était de casser l’attente du spectateur, pour qui la télévision, ce sont des mots.Quand quelqu’un paraît à l’écran, les gens s’attendent à ce qu’il ou elle parle, et quand il ne le fait pas, les gens pensent que c’est une fausse manoeuvre, que le présentateur a oublié de donner un signal. Ainsi, pendant dix ou quinze secondes, au début on est aux prises avec un problème, cette personne ne parle pas, et il faut dépasser ce stade. Je pense que mon travail est souvent lié à cette notion de dépassement, de coupure avec une espèce d’attente ou de modèle, qu’il y a un moment où il faut laisser tomber, réévaluer telle notion, et y revenir, dans un second temps. C’est le processus de la création – il ne s’agit pas de faire quelque chose de neuf, mais de formuler à nouveau quelque chose d’ancien. La découverte comme reconnaissance.

Et l’une de vos méthodes pour parvenir à cela est la durée?

Oui, parce que la pensée est fonction du temps. C’est pourquoi Hatsu Yume, par exemple, est si long. Dans cette bande, je voulais aller au-delà du désir, de même que dans mes portraits. Mais à la télévision, la durée est un luxe. Le temps est de l’argent, et quand quelque chose dure longtemps, les producteurs n’entendent que le bruit du tiroir-caisse. C’est aussi la raison pour laquelle tout est court, à la télévision. Finalement, nous avons trouvé un compromis, trente secondes pour chaque portrait, ce qui était trop court pour moi.

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