by : Len Lye

durée : 03:32 mn

16 mm, n&b / 1957

 

Len Lye est né en 1901 à Christchurch en Nouvelle Zélande. Il étudie au Canterbury College of Arts (Christchurch) puis suit une formation en animation avant de s’installer à Londres en 1926 et d’y intégrer rapidement le milieu de l’avant-garde artistique.
Il réalise son premier film « Tusalava » grâce à une subvention de la London Film Society. Le projet est long et laborieux et Len Lye décide d’expérimenter, avec « A Colour Box », son deuxième film, des techniques de réalisation plus directes, en peignant des formes à même la pellicule. S’ensuit une série de films sans caméra pour lesquels Lye utilise des pochoirs, créés pour l’occasion ou glanés parmi des objets usuels. Il continue d’expérimenter la technologie couleur et exploite les techniques du Technicolor et du Gasparcolor pour réaliser « Rainbow » et « Trade Tattoo », puis utilise des caches mobiles créant ainsi les premières images de synthèse. À partir de 1937, Len Lye tourne des films d’information d’utilité publique pour le compte du Ministère de l’information. Il accepte le poste de metteur en scène de la série d’actualités « March of Time », s’installe à New York et dirige la série jusqu’en 1951.
À New York, Len Lye peine à trouver des appuis privés et institutionnels pour financer ses films. Il se lance alors dans la réalisation de films aux techniques encore plus directes telles l’animation par exposition contact, le remontage de found footage ou encore le grattage d’amorce noire. Ne parvenant toujours pas à trouver des fonds, il se consacre à nouveau à la sculpture et produit les « sculptures cinétiques tangibles », de fines bandes de métal qu’il plie et tord afin de leur donner des formes et une illusion de mouvement.
Len Lye réalise par la suite ses derniers films grattés sur pellicule. Il meurt à New York en 1980 avant d’avoir achevé son ultime film « Tal Farlow ».

Source : catalogue des éditions Re :voir. D’après une biographie de David Curtis (traduction de Vincent Deville).

Pour Len Lye, le rôle d’une œuvre consiste à nous rapporter des informations sur ce qui nous constitue physiquement, en remontant le plus loin possible, donc jusqu’à nos archives génétiques. Un tel projet éclaire la nécessité de la technique dite du « Doodlin’ », le griffonnage. « En grattant, en griffonnant, explique Len Lye, j’essaie de coincer une forme cinétique sur la pellicule, pour matérialiser une sensation qui se loge à l’arrière de mon crâne (…). Nous portons en nous certaines cellules chargées d’entrer en contact avec le vieux cerveau de nos origines primales, qui lit leur patrimoine génétique ». Les films de Len Lye, ses sculptures aussi, se veulent processus d’exhumation de nos archives organiques. Pour ce faire, l’artiste devient un virtuose du mouvement. À la manière d’un danseur ou un maître d’armes japonais – mais sans aucune codification préalable –, il cultive en lui cette ultra-sensibilité à l’énergie grâce à laquelle le mouvement de sa main projettera directement sur la pellicule les origines physiques de notre élan vital. Len Lye expérimentait le mouvement à chaque instant de sa vie, en chaque articulation de son corps : « Quand je n’observais pas le mouvement, je le sentais dans mes actions. Je n’ai jamais bougé d’un pouce sans m’appliquer à sentir consciemment chacun de mes muscles travailler en rythme, tout en savourant les mouvements que faisait mon corps à manier la pelle, à porter et à coudre des sacs de blé. Mon univers tout entier était en mouvement et ne connaissait pas un instant d’ennui. J’ai fini par pousser mon goût du mouvement jusqu’aux plus subtiles empathies, au point de ressentir la façon dont les deux extrémités de mon stylo oscillaient l’une par rapport à l’autre lorsque j’écrivais, ou celle dont mes yeux se déplaçaient dans leurs orbites quand ils balayaient les lignes d’un texte imprimé. »
À cet égard, « Free Radicals », « Radicaux libres » (réalisé en 1958 et raccourci d’une minute pour sa version définitive en 1979, celle que nous allons voir), constitue un apogée. Dans les percussions de Bargimi Tribe of Africa, Len Lye a trouvé l’équivalent sonore de sa recherche visuelle : un document rythmique sur nos valeurs de survie ou, comme il l’exprime lui-même, « une information génétique sous forme de mythe ». Voici sa définition du radical libre : « Un radical libre est une particule fondamentale de matière qui contient la même énergie que celle de tous les changements chimiques, une énergie qui ressemble à celle d’un ressort comprimé avant sa détente ». Pour capturer les radicaux libres, Len Lye recouvre la pellicule vierge de scotch, la gratte avec des stylets et des aiguilles, puis lave le résultat à l’aide d’une éponge. Le mouvement manuel et son accord percussif avec le rythme sonore garantissent l’organicité de l’entreprise.« Free Radicals» cherche à projeter visuellement la source archaïque de notre pulsion vitale. On aura compris que «Colour Cry» et «Free Radicals», films apparemment abstraits, inventent un cinéma totalement concret, chargé de manifester matériellement ce qui nous maintient en vie dans le monde. Le cinétisme est un humanisme.

Dès lors, il n’existe pas de différence qualitative entre ces œuvres géométriques et les chefs d’œuvres figuratifs de Len Lye. Plusieurs de ses films articulent brillamment le recyclage d’images documentaires et l’intervention directe sur pellicule, comme le célèbre Rainbow Dance. D’autres sont entièrement mis en scène, comme le très beau «N or N.W. Rhythm», réalisé en 1957, mixte d’images analogiques, de trous dans la pellicule et de grattage, condense en 1 minute un documentaire d’entreprise réalisé pour la firme Chrysler. Len Lye transforme la commande publicitaire en un pamphlet sur le travail à la chaîne, un traité intégral du montage et une déclaration d’amour à la résistance vitale. Chrysler ne s’y trompera pas et refusera le film. Quel plus bel hommage rendre à son intelligence énergétique ?
Nicole Brenez pour Court-Circuit (le magazine) – janvier 2004.

Free Radicals (16 mm, n&b, 4 min)· 1958
http://www.youtube.com/watch?v=cEs_qxyIAK0

« Ma femme (Ann Lye) me dit un jour qu’elle passait devant mon banc de travail : « Len, je ne savais pas que tu étais épileptique ». Elle m’avait vu accroupi sur un morceau de film ma pointe sèche plantée dedans. Si je n’arrivais pas à forcer la pointe à graver la ligne jusqu’au bout sur le film, alors la continuité d’une douzaine de dessins serait perdue. Je tressaillais de tout mon corps afin de concentrer une énergie dans mes épaules – cherchant à obtenir un sentiment de précision extrême dans les doigts des deux mains qui tenaient la pointe, d’un bond soudain, je tirai la pointe à travers le celluloïd pour terminer mon dessin.
J’interpellais Ann alors qu’elle repassait : « Je ne suis pas épileptique, mais attends donc un peu de voir ces trucs. »Ces « trucs » sont des rayures abstraites, très contrôlées et cependant très cinétiques. Elles possèdent une vibration et un type d’action « spasmodique ». Cela m’a pris deux ou trois mois avant d’arriver à contrôler l’animation de leur mouvement. Lorsque j’y suis parvenu, je savais que j’avais un film en projet , mais pas les moyens. (…). Movielab, un labo vraiment commercial vint à la rescousse en nous faisant cadeau des coûts de tirage. Au bout de huit mois, le film fut terminé. Je l’appelais « Free Radicals » parce que le titre me plaisait. En fait, je m’interrogeais sur la qualité cinétique des motifs ; depuis le début, j’avais le sentiment qu’ils représentaient un aspect cinétique de l’énergie. J’avais lu un truc qui parlait d’une particule appelée « radical libre » – ces particules d’énergie possédaient une qualité de compression et de relâchement permettant d’échanger des électrons entre elles. En tous cas, la description semblait correspondre au comportement de mes soi-disant particules.
Ah oui, à propos du titre, un ami fit part de ma sollicitation pour financer le film à un de ses amis qui à son tour devait rencontrer un ponte de la télévision. Lorsque l’ami de mon ami lui apprit le titre, il dit : « c’est un titre d’enfer pour en parler avec un millionnaire. » Il avait raison !
Une nuit, le téléphone se mit à sonner à trois heures du matin. C’était Bruxelles. Ma femme décrocha et me passa le combiné. Une voix dit : « vous venez de gagner $5 000… »
Len Lye. Extrait du catalogue des éditions Re :voir. © Len Lye Foundation. Traduction : Vincent Deville.

Sources texte et images : http://www.re-voir.com/html/lye.htm et http://www.arte.tv/fr/344070,CmC=344076.html

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